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Le premier Goncourt

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Monsieur Loubet présidait la République. Le petit père Combes, anticlérical vieux style, préparait la séparation de l'Eglise et de l'Etat, faisait mettre en fiches par ses ministres les officiers catholiques. Léon XIII mourait. Les frères Wright, pour la première fois, faisaient voler un engin plus lourd que l'air. François-Joseph, empereur d'Autriche, entrait dans la cinquante-quatrième année de son règne. Freud avait commencé de publier la Psychologie de la vie quotidienne. C'était l'entre-deux des tournants de siècle.

Le 20 décembre, un entrefilet dans la presse annonçait que, le lendemain, les membres de la Société littéraire des Goncourt se réuniraient, au restaurant Champeaux, place de la Bourse, pour désigner le premier lauréat de leur prix.

Trois journarlistes s'étaient déplacés, et attendaient patiemment, dans la salle enfumée, que les délibérations aboutissent.

Les académiciens avaient réservé une table à l'écart.

L'année écoulée avait vu paraître des ouvrages de Gide et de Colette, et Le Petit Ami de Léautaud, mais aucun de ces livres n'avait été retenu dans la dernière sélection du jury. Léautaud en concut de l'amertume (Dans son journal il notait :"L'écrivain qui reçoit un prix est déshonoré."). Restaient en lice Jean Vignaud, Charles-Louis Philippe, Camille Mauclair et Force ennemie, d'un certain John-Antoine Nau.

Il n'y eut que deux tours de scrutin. Au deuxième, Nau s'imposa par six voix, contre trois à Camille Mauclair et une à Vignaud. Philippe, l'auteur de Bubu de Montparnasse, n'obtint aucun suffrage.

Il était un peu plus de dix heures du soir. Joris-Karl Huysmans, président en exercice de la société, fit remettre à la caissière un mot qui annonçait à la presse le résultat du vote. Un article d'une demi-colonne parut le lendemain dans Le Figaro.

Huysmans demanda ensuite au maître d'hôtel du papier à lettre et, sur un coin de table, une nappe tachée sans doute d'un peu de vin, entre les verres, les assiettes sales, dans le brouhaha des parties finissantes, pendant que les autres fumaient, adossés aux larges glaces, de fines cigarettes, à la lumière blanche du gaz, il écrivit à ce premier lauréat, qui habitait alors à Saint-Tropez - la brousse en ce temps-là -, pour lui dire qu'une somme de cinq mille francs-or l'attendait chez maître Bossy, notaire de l'académie, 11, rue des Pyramides.

Nau, de son vrai nom Eugène Torquet, était né en 1860 à San Francisco. Revenu jeune en France, au Havre, il faut croire qu'il avait gardé de cette naissance exotique, de cette enfance portuaire, le goût de l'aventure et de l'errance. Plus jeune il avait été marin, timonier sur une goélette. Il avait navigué aux Antilles. Avec lui commençait, pour le prix, une longue suite d'écrivains voyageurs. Les noces de la littérature et de l'ailleurs. Son roman - un premier roman, il n'avait publié auparavant qu'un recueil de poèmes, en 1897 - n'était pas, pourtant, un roman d'aventures. Ni un récit de voyage. L'exotisme, pour cette fois, serait celui de la conscience. de ses extrèmes limites. Force ennemie, c'était l'histoire d'un aliéné. Le récit d'un homme atteint d'une folie intermittente et qui faisait alterner, de façon étonnante, novatrice pour l'époque, scènes de démence et descrptions objectives, cliniques, de l'univers des asiles. Le quotidien terrifiant, terrifié, des fous.

Un siècle de Goncourt, Olivier Boura entretien avec l'auteur : Un jour, un livre

boura

John-Antoine_Nau     1ergoncourt

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